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Le blog de Souffles d'Asie

Des bienfaits de la lenteur

7 Février 2012 , Rédigé par soufflesdasie Publié dans #tai ji quan - tai chi chuan

 

Le parti pris pédagogique du tai chi chuan, même s'il n'est pas le seul, c'est la lenteur.

 

A contre-courant de l'état d'esprit ambiant de notre société prise au piège de la vitesse, le tai chi est une discipline qui demande temps et persévérance. On ne peut pas venir à un cours, dire "j'achète" et repartir avec du tai chi en poche. Non, il faut prendre le temps... d'y accorder du temps pour en tirer le maximum de bénéfices.

 

A l'instar du jardinage... il faut semer des graines, les arroser et faire preuve de patience, savoir attendre, attendre encore. Quand la jeune pousse sort de terre, faire preuve de douceur et encore de patience pour la laisser se développer... et avoir confiance. Confiance en son professeur, se faire confiance aussi à soi... et confiance tout simplement au fait de faire, de pratiquer.

 

Au-delà de tout ça, nos prédécesseurs qui ont créé ou enrichi le tai chi chuan avaient peut-être des raisons très différentes de mettre de la lenteur dans l'apprentissage de cette discipline martiale. Leurs préoccupations étaient, à mon avis, probablement d'avantage d'ordre pédagogique et technique.

 

En effet, pourquoi la lenteur ? Que permet-elle que ne permet pas la vitesse ? Quels avantages apporte-t-elle dans une pratique corporelle et martiale ?

 

Tout d'abord, exécuter le tao (forme) comme au ralenti est un moyen intéressant d'étudier le geste et  les trajectoires. La lenteur  permet de faire cette étude à la fois de l'intérieur, quand on pratique soi-même, ou de l'extérieur lorsque l'on regarde son maître ou les autres élèves pratiquer. L'exécutant peut ainsi obtenir de précieuses informations kinesthésiques et visuelles. Bien avant l'usage de la vidéo et l'invention du ralenti, on peut être admiratif que les maîtres anciens aient eu une si brillante intuition.  En effet, on s'est rendu compte qu'à un haut niveau de pratique corporelle ou sportive, il était intéressant de se filmer pour se voir pratiquer et se corriger.

 

Exécuter la forme lentement permet donc de travailler la précision des gestes car on peut en décortiquer toutes leurs composantes : placement de chaque partie du corps, impulsion, trajectoires etc. Dans cette optique, on pourrait dire que le travail postural est comme un arrêt sur image et que la forme est un passage au ralenti.

 

Mais exécuter un geste lentement permet encore bien des choses. La lenteur permet de faire un gros travail pour développer et affiner ses sensations, son ressenti. Ce travail kinesthésique permet non seulement d'améliorer et affiner notre schéma corporel mais également d'arriver à une écoute fine et profonde de notre corps pour apprendre à mieux le respecter, se respecter. En exécutant un geste très lentement nous avons le temps d'être à l'écoute de notre corps et de nos sensations pour les observer, les écouter et les analyser.

 

Dans le même esprit, cette lenteur nous laisse le temps de ressentir et d'être à l'affût des tensions qui apparaissent lorsque l'on exécute un geste, ou qui sont déjà là de manière plus ou moins permanente. Cette prise de conscience permet d'observer ce qui se passe en nous et, par la volonté et l'attention, de se relâcher. Cet aspect, même s'il n'est pas le seul, permet d'optimiser le geste. On ne supprime pas  tout effort, c'est impossible, mais plutôt on apprend à ne pas en faire trop en sursollicitant nos muscles et notre corps. Ainsi on se fatigue beaucoup moins, surtout si on applique ensuite ce principe à la vie courante, et cette énergie que l'on récupère, n'est plus dépensée inutilement mais peut être disponible pour d'autres actions.

 

Exécuter très lentement ou juste lentement l'enchaînement permet une formation et un renforcement du corps par isométrie. Et ne nous y trompons pas, les enchaînements ont aussi cette vocation. Ainsi on acquiert petit à petit, simplement en faisant, une forme de corps adaptée au reste de l'apprentissage du tai chi. Les jambes bénéficient le plus de ce travail de renforcement grâce au gros effort d'équilibre qui est également proposé par la forme lente.

 

La lenteur permet d'effectuer un gros travail de placement et de posture. On a le temps d'observer, réfléchir et recadrer puis d'aligner correctement les différentes parties de notre corps entre elles. Chaque articulation doit être à sa place pour d'une part ne pas nous blesser (ce qui ne se manifeste malheureusement souvent qu'à moyen et long terme) et pour obtenir un geste efficace. Obtenir de bons alignements corporels est dons essentiel tant à la santé qu'à la pratique martiale. C'est grâce à cette base que la force peut-être à la fois transmise et réceptionnée sans risques et que l'on obtient la puissance.

 

La lenteur couplée à l'enchaînement à mains nues est un formidable outil de méditation en mouvement et de travail sur le mental. Elle permet d'observer nos pensées parasites :  "l'esprit singe" qui jacasse parfois sans fin de tout et de rien, nous empêchant ainsi d'être ici maintenant, de goûter à ce moment exceptionnel, aux sensations sans cesse renouvelées, qu'est la pratique de la forme. Il nous vole ce cadeau que nous nous faisons en pratiquant la forme. La lenteur permet justement à celui-ci de venir montrer le bout de son nez pour que nous puissions en prendre conscience et apprendre à le contrôler, à le faire taire. En effet, on a, encore une fois, le temps d'observer nos pensées parasites et de nous recentrer sur l'ici et maintenant, sur nos sensations, notre environnement. Cela est impossible avec des activités très demandeuses physiquement ou d'autres aspects plus physiques du tai chi chuan. Elles ont d'autres vertus mais pas celle qu'apporte la méditation en mouvement. Ainsi, dès que nos pensées commencent à voler notre attention on se perd dans l'enchaînement et on ne sait plus très bien où l'on en est. C'est donc un outil impartial et très efficace pour la méditation car il ne laisse rien passer ! On est là présent à ce que l'on fait où l'on n'y est pas et il est impossible, comme dans une médiation assise, de ne pas s'en rendre compte.

 

Conclusion : La pédagogie de la lenteur permet à la fois d'améliorer les aspects corporels faisant base à la pratique martiale tout autant que des aspects plus mentaux voire spirituels. Le défaut du débutant est souvent de vouloir avoir fini avant de commencer, de "zapper" ou escamoter les gestes en n'allant pas jusqu'au bout. Celui de l'avancé, c'est de se laisser parfois emporter par la dynamique de certains gestes, notamment ceux qui sont spiralés. Avec la pratique de la forme, on apprend à modérer notre impatience et à s'accorder du temps pour ralentir le rythme de notre vie, être à l'écoute de soi, se recentrer, être présent à soi et au monde. Un bel enseignement.

 

 

 

Nathalie Bernard

 

 

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